Sha Yao est designer industriel. Elle travaille pour l’industrie musicale, les peintures murales, sur un projet d’avion à deux places… Puis lance Eatwell, une vaisselle pleine de sens.
D ans son travail, Sha Yao aime autant la concrétisation des projets que les phases de recherche et expérimentation. Pour Blackbirds Guitars – une de ses premières missions, orientée marketing-communication – elle passe par l’atelier et apprend à assembler les instruments de musique.
Lorsque sa grand-mère glisse dans la maladie d’Alzeihmer et s’éloigne peu à peu du réel, de ses besoins vitaux, de notre compréhension du monde, Sha Yao travaille bénévolement à l’Institute on Aging de San Francisco auprès des malades, et des aidants. Au quotidien, elle accompagne les levers, les soins, les repas, les activités, les difficultés, les conversations qui ne se rejoignent que dans le surréalisme des narrations. Et elle nourrit sa réflexion sur les besoins quotidiens, vitaux, et de dignité, de nos parents, ainés, malades et dépendants.
Elle imagine alors Eatwell, un set de vaisselle pensé pour les personnes qui perdent certaines de leurs facultés motrices, ou cognitives.
Les troubles cognitifs… La perte de mémoire – ai-je mangé, faut-il manger? pourquoi boire déjà? J’ai oublié. L’agnosie, qui empêche de faire la différence entre des aliments et les objets du quotidien – qu’est-ce qui se mange? Tiens, du papier, je crois que j’ai faim. L’affaiblissement de notre capacité à percevoir nos besoins, à reconnaitre nos sensations – ai-je soif? J’ai bien assez mangé avec ce verre d’eau. La difficulté à résoudre des problèmes, parfois évidents pour nous autres « sains ».
Et les troubles moteurs, comme les tremblements, les mouvements involontaires, qui engendrent des difficultés physiques à se nourrir, et qui sont extrêmement énergivores. Double peine. On se dépense plus, à son insu, et on se nourrit moins, ou mal.
Ces troubles moteurs et cognitifs rendent leurs victimes dépendantes des personnes valides qui, par mises en place de procédures, par manque de temps, de formation, par bienveillance aussi le plus souvent, remplacent les gestes élémentaires de la nutrition. Et dépossèdent les malades, par infantilisation – et sans malveillance aucune – des capacités qu’il leur reste, et qu’ils doivent justement entretenir.
Eatwell est une belle tentative de parade sinon de réponse à toutes les difficultés identifiées par la designer au cours de son bénévolat, et de son rôle d’aidant auprès de sa grand mère. Code couleur, matériaux et ergonomie (les récipients sont inclinés et conçus avec des rebords, tous les éléments sont pensés pour ne pas glisser sur la table) soulagent les états de confusion, de mouvements imprécis, ou de douleurs articulaires. D’après les tests appliqués de l’Université de Boston les utilisateurs d’Eatwell se nourrissent mieux, et de manière plus autonome. L’usage de couleurs vives par exemple, aide les personnes à réduire les états de confusion visuelle. Elles consomment ainsi 24% de solides en plus, et augmentent leur consommation de liquides de 84%.
Bien sûr, en terme de contre-infantilisation, le design d’Eatwell peut faire sourire. Mais comme un enfant en bas-âge doit apprendre à être autonome, sans pour autant briser la porcelaine et les verres en cristal, nos aînés en souffrance doivent pouvoir le rester, sans se créer de difficultés supplémentaires. Eatwell est en tout cas une belle innovation, pleine de sens, et à l’esthétique au service de celui-ci. Le propre du design.
Pour en savoir plus : Le site de Sha Design.